Nous publions le discours prononcé par la LDH le 28 novembre à SQY

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Quelle joie !

Quel bonheur de nous voir si nombreux, ici et dans des centaines d’endroits en France, aujourd’hui comme hier à Toulouse et à Nantes, venus nous rassembler pour défendre la démocratie et les libertés.

Elles en ont besoin, tant elles sont mises à mal, par ceux-là même qui devraient en être les garants. Nous voulons parler du monarque jupitérien et du gouvernement, plus avides d’autoritarisme que de dialogue.

Mais avant d’aborder ce sujet, nous voulons dire quelques mots sur les forces de police qui sont elles souvent malmenées. La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 affirme en son article 12 : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

C’est dans cet esprit que la plupart des policiers se sont engagés. Mais ils sont tenus par une double contrainte : obéir et se taire. Et parfois, ils doivent obéir contre leur conscience. Je voudrait remercier particulièrement les syndicats de policiers qui ont pris position contre plusieurs dispositions de la loi « Sécurité globale ».

Les policiers sont l’extrémité d’une chaîne. Tout au long de cette chaîne, il y a la hiérarchie, le ministre de l’intérieur, le premier ministre et le président de la République qui donnent les ordres. Nous n’imaginons pas un seul instant que les policiers, dans la rue, aient une quelconque autonomie de décision. S’il y a répression c’est qu’ils en ont reçu l’ordre.

Bien sûr, il peut y avoir quelques dérapages individuels. Les policiers sont des êtres humains, donc faillibles. Dans ces cas la chaîne hiérarchique doit réagir, éventuellement sanctionner. S’il n’y a pas de réaction, alors il y a, à minima, complicité.

Cependant, ne nous la cachons pas, il y a aussi, à l’intérieur de la police des influences d’extrême-droite. Lorsqu’un policier s’adresse à quelqu’un en le traitant de nègre ou de bicot, ce n’est pas un dérapage. Ce n’est pas non plus un ordre reçu. Il s’agit de mouvances politiques qui agissent pour semer la haine. Nous attendons du ministre de tutelle la plus grande fermeté contre de tels attitudes inadmissibles dans une police républicaine.

Venons maintenant à notre sujet.

Il paraît que monsieur Darmanin a été choqué par les images d’un croche-pied lors la manifestation des plus précaires, le 24 novembre, place de la République. Monsieur Darmanin, on s’en moque que vous ayez été choqué. Votre propos montre le but de la proposition de loi qui nous préoccupe et que vous osez appeler « Sécurité globale », alors qu’elle aurait dû prendre le nom de « Censure globale » : puisque les images sont choquantes, il faut interdire les images.

Nous, monsieur Darmanin, ce ne sont pas les images qui nous ont choqué. Ce sont les actes qui ont eu lieu. Ceux que vous avez ordonnés. La dispersion d’une manifestation pacifique à coup de matraque, voilà ce qui nous a choqué. Ne prétextez pas qu’elle était interdite. Il n’y avait aucune raison de l’interdire, sauf l’arbitraire que vous mettez en place.

Et en plus, ce sont les plus faibles à qui vous vous êtes attaqués. A ceux qui n’ont pas de domicile, qui n’ont qu’une tente pour s’abriter. Alors que vous devriez les protéger en priorité par la solidarité nationale. Et vous avez même renouvelé votre confiance au préfet Lallement. Honte à vous monsieur Darmanin. Vous êtes le responsable de cette violence. Et il y a d’autres exemples, je vous en épargnerai la longue liste.

Darmanin-Tartuffe nous dit : « cachez cette violence que je ne saurais voir ». Voilà le B A BA de la délinquance : pas vu, pas pris. Il suffit de museler l’information. C’est l’objet de la loi.

Il y a quelques semaines, le président de la République a dit que dans un état de droits on ne doit pas parler de violence policière. Nous ne sommes pas tout à fait d’accord, monsieur le président. Dans un état de droits il n’y a pas de violence policière. Dans certains cas, la police peut, par délégation des citoyens faire usage de la force. Jamais de la violence. Et l’usage de cette force doit être strictement nécessaire et limitée au besoin. Monsieur le président, l’état de droits vous en êtes en train de le restreindre, comme l’ont précisé les rapporteurs spéciaux de l’ONU.

Il paraît que vous souhaitez une police exemplaire, cela commence avec un président exemplaire.

Interdiction de filmer la police, par contre, pour les simples citoyens que nous sommes, c’est surveillance et espionnage à tous les étages. Vidéo-surveillance, drone, reconnaissance faciale et gigantesque fichier du Big Brother national.

Cette loi n’a fait l’objet d’aucune concertation. Quoi de plus naturel que d’interdire les insultes, menaces ou diffusion d’adresse personnelle des policiers ? Mais c’est déjà le cas dans les textes en vigueur. Ce projet n’apporte rien, sauf que une rédaction vague, qui brouille la compréhension, augmente le risque d’arbitraire. On voudrait nous faire croire que c’est le but recherché qu’on ne s’y serait pas pris autrement.

En droit, les lois obligent ou interdisent certains actes, et les manquements sont sanctionnés par la justice. Le projet « Sécurité globale » introduit un nouveau délit pour des actes qui n’ont pas été commis mais dont on soupçonne qu’il était dans l’intention de les commettre. Le gouvernement invente la divination légalisée.

On parle beaucoup, à juste titre, de l’article 24 portant atteinte à la liberté d’information. Mal rédigé parait-il, le premier ministre a proposé hier, qu’il soit réécrit par une commission indépendante. Indépendante de qui ? De ceux qui en ont nommé les membres peut-être ? De ceux qui tiennent la laisse ? Proposition stupide qui a aussitôt fait réagir le pourtant très macroniste président de l’assemblée nationale et le président du sénat.

En démocratie, ce n’est pas une commission Théodule qui rédige les lois, c’est le parlement. Le premier ministre ignore le rôle de la représentation nationale, ou la méprise. Ou les deux. A notre connaissance, il est toujours en fonction.

Ce gouvernement est fâché avec le droit et les libertés. Il l’est aussi avec la démocratie.

Mais au fait, dans ce projet de loi « Sécurité globale », quels sont les articles qui feront améliorer la sécurité ? Pas un. Ce n’est pas une loi pour la sécurité, c’est une loi pour la répression des revendications. Non seulement l’article 24 doit être abandonné, mais tous doivent être abandonnés. Ce projet est condamné par les instances européennes, par la défenseur des droits, par la commission consultative des droits de l’homme, …

Il placerait la France au niveau des régimes politiques de la Turquie, de la Chine ou du Soudan. Il est inadmissible dans sa totalité, le texte doit être retiré.

Pierre Dejean (LDH)

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