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De la vidéosurveillance contre la délinquance ? … A voir !

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En France, la vidéosurveillance de l’espace public est légale depuis 1995. 

En 2006, une loi facilite le déploiement des caméras sans avoir à obtenir un avis de la commission départementale chargée d’évaluer les demandes. En 2014, les commerçants ont l’autorisation d’en installer dans le périmètre direct de leurs établissements. En 2018, la liste des infractions susceptibles d’une vidéo-verbalisation est élargie. En 2021, la loi sécurité globale allonge la liste des services autorisés à visionner les images. Heureusement, la prolongation de l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (JO Paris 2024) demandée par le gouvernement a été censurée par le Conseil constitutionnel. 

Les études scientifiques mettent en évidence un impact très limité de la vidéosurveillance sur la délinquance, et pourtant la vidéosurveillance est promue, y compris par les élus locaux, comme solution.

Malgré des sommes considérables investies par les collectivités locales et l’Etat aucune étude évaluative n’a été conduite. Il y a bien eu, en 2009, une étude des inspections générales de l’administration, de la police et de la gendarmerie afin de mesurer l’efficacité de la vidéosurveillance sur la délinquance, mais les faiblesses méthodologiques du rapport remettaient en cause les conclusions.

Les principales conclusions d’études conduites aux Etats-Unis, en Australie et en Grande-Bretagne sont les suivantes :

  • L’efficacité en matière de prévention dépend du type de lieux (espaces ouverts ou fermés). Peu d’impact dans les espaces étendus et complexes (rues). Les caméras ne dissuadent pas si le risque de se faire identifier est jugé faible. Peu de diminution des vols à la tire ou à l’arrachée. Les études reconnaissent que la vidéosurveillance a une efficacité dissuasive dans des espaces fermés (parkings, hôpitaux).
  • L’efficacité dissuasive de la vidéosurveillance dépend du type de délits. Dans certaines études, la baisse est peu significative pour les atteintes aux biens et n’a aucun impact sur les délits impulsifs (agressions sexuelles, bagarres, coups et blessures) mieux identifiés mais pas dissuadés.

Concernant la prévention, les travaux du sociologue Laurent Mucchielli ont démontré que la présence de caméras ne diminue pas la délinquance mais déplace le problème « Quand on concentre la vidéo et les moyens humains sur un lieu précis, par exemple un parking sur lequel il y a beaucoup de vols, cela réduit la délinquance sur ce lieu précis, mais si on regarde sur l’ensemble de la ville, à la fin de l’année il y a toujours autant de vols », explique le chercheur.

Dans son enquête, Laurent Mucchielli démontre que les caméras n’aident à élucider que 1 à 3 % des infractions commises sur la voie publique. « A Marseille, sur un an, il y a eu 60 000 enquêtes pour infractions sur la voie publique, explique le chercheur. Pour ces enquêtes, il y a eu seulement 1 850 réquisitions d’images au centre de vidéosurveillance de la ville. Au final, les images n’ont été décisives que dans cent trois affaires. »

En 2021, une étude du Centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie de Melun portait sur quatre territoires municipaux. Entre 2017 et 2020, sur les 1 939 enquêtes seulement 22 enquêtes, qui ont été élucidées, ont bénéficié de l’exploitation d’enregistrements de vidéoprotection, soit 1% des enquêtes. Si on ne retient que les enquêtes élucidées, on passe à 5,87 %, soit une affaire élucidée sur 20. En conclusion : « en fin de compte, la découverte d’éléments probants, peu importe la thématique considérée (…) s’avère faible » et « l’exploitation des enregistrements de vidéoprotection constitue une ressource de preuves et d’indices peu rentable pour les enquêteurs ».

Nice, une des villes les plus vidéosurveillées en France, n’a pas empêché l’attentat de 2016, alors que le terroriste avait été une dizaine de fois en repérage avec son camion sur la promenade des Anglais, un axe interdit aux poids-lourds et truffé de caméras. A Paris, malgré un réseau de caméras le plus important d’Ile-de-France, 40 000 caméras dans les bus, le RER et le métro, l’instigateur des attentats du 13 novembre 2015 a pris le métro moins d’une heure après le début des attaques et filmé par les caméras de la RATP alors qu’il franchissait un portique, sans ticket.

Plus on augmente le sentiment d’insécurité, plus les gens ont peur et la réponse est de mettre en place des lois pour rassurer l’opinion publique mais bien peu pour résoudre des affaires criminelles ou terroristes. 

« En pleine campagne électorale, un candidat souhaitant s’emparer du thème sécuritaire va jouer là-dessus et proposer de développer la vidéosurveillance » écrit Laurent Mucchielli, « Il y a des cas où les lieux d’emplacement des caméras sont décidés en fonction de motivations politiques car des habitants d’un quartier se plaignent par exemple, et non dans le cadre d’une réelle stratégie de lutte contre la délinquance. ».

Certains politiques s’appuient sur les sondages qui suggèrent que les français, réceptifs aux discours sécuritaires, souhaitent des caméras, y compris équipées d’algorithmes, « Il y a des cas où les lieux d’emplacement des caméras sont décidés en fonction de motivations politiques car des habitants d’un quartier se plaignent par exemple, confirme Laurent Mucchielli, et non dans le cadre d’une réelle stratégie de lutte contre la délinquance. ». Le sociologue donne des exemples d’élus locaux qui, bien qu’opposés à titre personnel à la vidéosurveillance, cèdent et en installent « Ils font face à une pression venant de toute part : de leur opposition municipale, des élus des communes voisines ou encore de la préfecture. Certains d’entre eux installent alors des caméras uniquement pour qu’on les laisse tranquilles. »

« Les industriels ont des représentants qui passent leur temps à démarcher les élus » souligne Laurent Mucchielli, notamment au niveau local. À l’échelle nationale, le lobbying s’appuie sur le discours de nombreuses personnalités politiques qui font de l’insécurité le thème central de leurs discours.

Le chiffre d’affaires du secteur de la sécurité progresse depuis les années 2000, il atteint 8,3 milliards d’euros en 2015, 10,7 milliards en 2023. En 2023, environ 1,5 million de caméras dans l’espace public et plus de 10 millions d’appareils installés dans des lieux privés.

En dépit de résultats peu probants, les financements ont augmenté (2010 : 30 millions, sur les 49 du Fonds interministériel de prévention de la délinquance). L’aide de l’Etat est importante mais le coût de fonctionnement demeure à la charge des communes. Un dispositif de vidéosurveillance de 50 caméras implique, pour fonctionner 365 jours par an et 24/24 heures, une équipe de 14 opérateurs et un chef de salle, soit un coût avoisinant les 450 000 euros/an, auquel il faut ajouter la maintenance, environ 100 000 euros et souvent la location des réseaux de transmission des images (600 000 euros pour un dispositif de 15 caméras à Saint-Herblain). Un coût annuel de 550 000 euros, au minimum, pour le fonctionnement du dispositif.

Si la vidéosurveillance rapporte beaucoup aux industriels, elle coûte cher aux finances publiques. La Cour des comptes avait demandé au ministère de l’Intérieur de se doter de moyens permettant de connaître le nombre exact de caméras de vidéosurveillance en fonctionnement et d’évaluer leur efficacité. Dix ans plus tard, en 2020, la Cour constatait que le ministère n’était toujours pas en mesure de fournir de chiffres précis. A propos de l’efficacité de ces investissements, l’institution note « qu’aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ».

Les collectivités locales sont incitées à transférer leurs images aux services de police et gendarmerie, l’intérêt de l’Etat est de récupérer des images pour renforcer le travail d’élucidation et d’arrestation des délinquants. La gestion et la charge financière de la vidéosurveillance est ainsi déléguée aux collectivités locales alors que l’Etat utilise cet outil à ses propres fins.

Regarder en temps réel les images captées par les caméras ne donne pas plus de résultats. On dit que ça « démultiplie les yeux de la police et permet de sauter à n’importe quel moment sur un délinquant en train de commettre une infraction. Certes ça peut arriver mais c’est infime dans l’activité policière, et ça concerne surtout des infractions mineures » constate Laurent Mucchielli.

Dans la pratique, les agents chargés de visionner les images en direct, généralement des policiers municipaux, passent leurs journées à surveiller des rues où il ne se passe rien de spécial. « Ils ne voient rien sauf s’ils ont des a priori sur ce qu’ils doivent chercher, précise le chercheur. Des études ont montré que ça renforce les préjugés, notamment racistes ou de genre. » 

Conclusion

Dès 2011, la Cour des comptes relevait l’absence d’évaluation de son efficacité. « Les différentes études conduites à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, ne démontrent pas globalement l’efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique » s’inquiétait-elle dans son rapport.

Des garde-fous institutionnels limitent le nombre de personnes ayant accès aux fichiers de police, de justice et de renseignement. « C’est un des points sur lesquels le lobbying politique et industriel se concentrera dans les prochaines années, prédit Laurent Mucchielli. Si les garde-fous cèdent cela signifie que n’importe quel maire, par exemple du Rassemblement national, aura un accès direct aux fichiers de police et de justice. »

La vidéosurveillance est donc la combinaison des intérêts des industriels qui font du business et des personnalités politiques qui cherchent à se faire élire ou réélire.

La vidéosurveillance tient du conformisme politique et sociétal et ne règle pas les problèmes de fond. Nos services publics s’effondrent et on promeut la vidéosurveillance. 

Chercher l’erreur …

Liens et bibliographie :

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