Retrait du texte de loi «Sécurité globale »

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Contexte

La proposition de loi adoptée le 24 novembre à l’Assemblée nationale doit être examinée par le Sénat en janvier 2021.

La CNCDH (1) s’inquiète du transfert de compétences de police judiciaire aux agents de police municipale, surtout sur des sujets aussi sensibles que l’usage de stupéfiants. La Commission formule également de vives critiques à l’égard de l’interdiction de diffuser des images permettant d’identifier les agents des forces de l’ordre, en raison notamment des risques engendrés sur le terrain d’atteintes à la liberté d’informer. Enfin, la CNCDH est opposée à l’utilisation généralisée des caméras aéroportées (drones) qui ouvre des perspectives de surveillance sans précédent, particulièrement menaçantes pour l’exercice des droits et libertés fondamentaux.

Le Défenseur des droits a alerté sur les « risques considérables » d’atteinte à la liberté d’informer et au droit à la vie privée qu’il soulève.

C’est un projet de loi et non une proposition de loi qui aurait dû être déposé.

Ainsi le Gouvernement prive le Parlement et la société d’une étude d’impact ainsi que d’une expertise juridique du Conseil d’Etat, préalables requis à l’examen parlementaire de tout projet de loi, mais non prévus pour une proposition de loi.

Titre I Les polices municipales (articles 1 à 6)

Le texte prévoit de lancer à partir du 30 juin 2021 (durée 3 ans) une expérimentation aux communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) disposant de plus de vingt policiers municipaux.

Titre II Secteur de la sécurité privée (articles 7 à 19)

Article 8 Renforcement du CNAPS

Un rapport (2) a décrit en 2016 une gestion défaillante du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), établissement public administratif censé encadrer et de contrôler les entreprises du secteur.

Un rapport de la Cour des comptes en 2018 pointe que les enquêtes menées par le Cnaps souffrent d’une professionnalisation insuffisante, avec des risques avérés de fraudes internes comme externes.

Article 10 Transférer des tâches des gendarmes et policiers nationaux aux sociétés privées …

Le texte veut donner une crédibilité à un secteur aux nombreuses dérives (des multitudes de petites structures et des gros groupes, le tout soumis à une forte concurrence).

Les agents de sécurité privée pourront être autorisés par le préfet à effectuer des missions de surveillance de la voie publique dans le cadre de la lutte antiterroriste. Ils n’auront plus besoin d’habilitation pour procéder à des palpations de sécurité dans le cadre de certaines manifestations, notamment sportives et culturelles.

La loi « Sécurité globale » prévoit d’autoriser les gendarmes et policiers à cumuler leur retraite avec des revenus tirés d’une activité de sécurité privée.

Cela fait de nombreuses années que les acteurs de la sécurité privée mènent un intense lobbying autour de ces questions (3).

Le brouillage des attributions des différents acteurs de la sécurité, qu’ils soient publics ou privés, posent de nombreuses questions. Il remet en cause en outre le rôle de la police municipale, conçue comme un service de proximité, plus portée sur la prévention que sur la répression.

Pour inciter les maires à renforcer leurs polices municipales, le gouvernement a même lancé des « contrats de sécurité intégrée » imposant aux villes le recrutement d’agents municipaux en échange de l’affectation par l’État de policiers (4). Vous avez dit chantage ?

Titre III Utilisation des outils technologiques dont la vidéo-protection et la captation d’images (articles 20, 21, 22)

Article 20 Vidéo-surveillance

Le texte modifie l’article L. 252-2 du code de la sécurité intérieure pour permettre à la police municipale d’exploiter les images de vidéosurveillance auxquelles elle n’avait jusqu’à présent pas accès.

Dans son avis, la Défenseure des droits s’est inquiétée de cette extension de l’accès aux images. « L’assouplissement des conditions de consultation, dont le but n’est pas précisé dans l’exposé des motifs, est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée, au regard notamment de la nature des données pouvant entraîner l’identification des personnes, en méconnaissance de nos engagements européens comme de nos obligations institutionnelles »

Article 21 Caméras individuelles

Il autorise la transmission en temps réel des images captées par les caméras « au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l’exécution de l’intervention ».

Amnesty International : « Ceci pourrait s’avérer problématique en cas d’enquête sur des pratiques illégales par les forces de l’ordre », « Par ailleurs, si ces caméras peuvent avoir l’intérêt de réduire le recours à la force, les enregistrements peuvent aussi être biaisés et sélectifs si le choix de les démarrer ou de les arrêter revient à l’agent ».

Un appel d’offre pour 30 000 caméras a été lancé mi-novembre, (marché à 15 millions d’euros) avant même que la loi soit ou non adoptée par le Sénat !

Article 22 Captation d’images par des moyens aéroportés (drones)

L’information du public, normalement obligatoire en cas de captation d’images, sera écartée « lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ».

La présidente d’Amnesty International : « Le fait de risquer d’être filmé peut dissuader des personnes de participer à des rassemblements pacifiques, notamment si elles craignent des poursuites ultérieures pour le simple fait d’y avoir participé. Ce qui pourrait être le cas en France où Amnesty International a documenté des situations où des manifestants rassemblés pour défendre des droits des soignants, par exemple, ont reçu des amendes après avoir été identifiés par des caméras de surveillance. Ils ont été sanctionnés pour participation à une manifestation illicite, alors même que cette interdiction prise par le gouvernement a ensuite été jugée illégale car disproportionnée. »

Le recours aux drones implique « la reconnaissance faciale et la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel ». Ainsi, le pouvoir exécutif pourrait ficher les manifestants en fonction de leurs opinions politiques. Les rapporteurs craignent que « leur usage […] en tant que méthode particulièrement intrusive, [soit] susceptible d’avoir un effet dissuasif » sur les citoyens, qui renonceraient ainsi à exercer leur droit de manifester. Non seulement le droit à la vie privée, mais aussi la liberté d’expression et de réunion seraient donc considérablement menacés.

Titre IV Dispositions relatives aux forces de sécurité intérieure (articles 23, 24, 25, 26)

Article 23

Il prive de réduction de peine les personnes condamnées pour des infractions sur les forces de sécurité intérieure

Comme le rappelle l’avis de la Défenseure des droits, cette mesure est semblable à celle prévue dans le cadre d’une infraction terroriste. « L’article 23 […] reviendrait donc à transposer des règles applicables en matière de terrorisme à des actes et des comportements de gravité très inégale »

La Défenseure des droits souligne que, dans le droit commun, le juge d’application des peines dispose déjà du pouvoir de moduler celles-ci, voire de supprimer toute réduction. « L’adoption de l’article 23 […] ferait obstacle à l’exercice du pouvoir d’individualisation des peines par le juge, s’accorderait mal avec l’objectif assigné par la loi aux réductions de peine et pourrait porter atteinte aux principes d’égalité devant la loi, de nécessité des peines, de proportionnalité et d’individualisation des peines ».

Article 24

Il prévoit de punir d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un policier ou d’un gendarme en intervention « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

La Défenseure des droits française souligne que filmer et diffuser les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction est « non seulement essentiel pour le respect du droit à l’information », mais « l’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à l’intervention de la police sont légitimes dans le cadre du contrôle démocratique des institutions publiques », écrivent les rapporteurs mandatés par le conseil des droits de l’homme de l’ONU.

« L’usage excessif de la force par les forces de l’ordre » doit être documenté or pénaliser la diffusion de vidéos témoignant de ces violences pourrait dissuader tout citoyen de les filmer, privant ainsi les victimes de preuves nécessaires pour engager des poursuites. Cela contribuerait à renforcer « une certaine immunité ». Les rapporteurs rappellent que la recherche des infractions commises par les forces de l’ordre tout comme « les poursuites à leur encontre en vue de lutter contre l’impunité [sont] un tenant essentiel des valeurs démocratiques ».

Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme « C’est un leurre. Il y a un flou dans cet article qui conduit au final à laisser aux policiers l’appréciation de décider ce qui va ou non éventuellement porter atteinte à leur image. En face d’un policier lourdement armé qui vous menace d’être poursuivi, le simple citoyen donnera son téléphone ou effacera les images. Il y a une menace qui pèse, qui est tout à fait évidente. » 

Conclusion

Communiqué du 13 novembre de la CNCDH (autorité administrative indépendante) : « La CNCDH s’élève contre la banalisation de l’état d’exception en cours depuis plusieurs années, tant sur le fond du droit avec la réinstauration de l’état d’urgence sanitaire, que sur la procédure législative avec les projets et propositions de loi adoptés en procédure accélérée. En concentrant toujours plus les pouvoirs entre les mains de l’exécutif, la France fait tristement figure d’exception parmi ses voisins européens ».

Cela ressemble à la vengeance d’un gouvernement néolibéral envers les mouvements sociaux qui pointent la violence capitaliste et étatique. Ils anticipent tous ceux à venir alors même que la marmite commence à bouillir.

En quoi, face à la criminalité terroriste, l’extension du pouvoir répressif serait un mal nécessaire ? Et nous devrions trancher entre sécurité et liberté ?

Dans le Monde diplomatique (décembre 2020), Vincent Sizaire nous rappelle qu’il y a une exigence constitutionnelle d’encadrement et de modération de l’action des autorités répressives qui structure le projet pénal des Lumières, consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Ce projet s’est construit non seulement en opposition au despotisme du pouvoir monarchique, mais également en réaction à l’inefficacité du système répressif d’Ancien Régime, caractérisé par son arbitraire et sa démesure. L’ordre pénal républicain s’est bâti sur la conviction selon laquelle une loi est « d’autant moins efficace qu’elle est plus inhumaine (4) ».

Plus l’on veille — notamment par le contrôle d’une autorité indépendante — à ce que les mesures privatives ou restrictives de liberté adoptées par les pouvoirs publics soient strictement nécessaires et proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent, plus l’on se donne la possibilité de le réaliser.

Rassemblements et manifestations

Cent cinq associations de défense des droits de l’homme ont signé, le 12 novembre, un appel intitulé « contre la loi Sécurité globale, défendons le droit de manifester ». Un collectif d’ONG a appelé à une série de rassemblements en France, ainsi qu’à des manifestations auxquelles nous avons participé à Montigny ou à Paris.

Muriel Bonnefond

Notes

(1) La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) est l’Institution nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme française créée en 1947.

(2) PANORAMA PROSPECTIF DE LA SÉCURITÉ PRIVÉE – 2025 (2016)

https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Organisation/Delegation-aux-cooperations-de-securite/La-securite-privee/Les-rapports

(3) Au mois d’octobre 2019, la Confédération européenne des services de sécurité (CoESS) avait ainsi publié son livre blanc, intitulé Le Continuum de sécurité dans la nouvelle norme, appelant au développement des partenariats public-privé (PPP).

(4) Le premier a été signé le 9 octobre dernier, en présence du premier ministre Jean Castex, à Toulouse, et prévoit l’embauche de 20 policiers municipaux par an entre 2021 et 2026, et l’envoi de 110 policiers dans les prochains mois.

(5) Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, rapport sur le projet de code pénal, Assemblée constituante, séances des 22 et 23 mai 1791.

Biblio

  1. Texte de loi
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi
  • Rapport de la CNCDH sur la proposition de loi relative à la sécurité globale
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042580863
  • Médiapart : articles de Jérôme Hourdeaux
  • Loi «sécurité globale» : un patchwork sécuritaire examiné à l’Assemblé (17 nov)
  • A l’Assemblée, la majorité verrouille la loi sécurité globale (21 nov)
  • «Sécurité globale»: une vision totalisante de la sécurité (7 déc)
  • Le Monde diplomatique : article de Vincent Sizaire
  • Qui enrayera la machine répressive ?

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